Appel à contributions – Actes Sémiotiques N°133 | 2025 – Le chaînon manquant entre langue et parole. Pour une sémiotique des normes.

APPEL À CONTRIBUTIONS

Actes Sémiotiques N°133 | 2025 

Le chaînon manquant entre langue et parole. Pour une sémiotique des normes.

 

Pendant la crise de la Covid-19, un graffiti peint sur le mur d’une ville espagnole a dénoncé la fragilité des certitudes sur lesquelles reposent les structures sociales : « No queremos volver a la normalidad porque la normalidad era el problema ». D’un seul coup, la journée de travail de huit heures, la mobilité globale, l’éducation universelle, le consumérisme, la liberté individuelle, qui apparaissaient jusqu’alors comme des lois de nature – devoir et droit – se révélaient être des constructions idéologiques périlleuses et non évidentes. On vit suivant le flux des logiques déontiques, communautaires et personnelles, qu’on a décidé de se donner. On juge l’identité et la réputation de soi et des autres selon des images standardisées du bien et du mal, de ce qui serait correct ou incorrect, en qualité et en quantité. La relativité de ces contraintes émerge, véritablement, dans des situations hors norme, « exceptionnelles », ou lorsqu’on rencontre des mentalités différentes (Marrone 2018). Un cas emblématique est l’embouteillage routier, dans lequel la signalétique et les règles de « conduite », au sens large du terme, sont mises à l’épreuve, au point d’éclater et de déclencher des événements imprévus (voir Julio Cortázar, La autopista del sur, 1966, d’où sont issus Week-End de Jean-Luc Godard, 1967, et L’ingorgo de Luigi Comencini, 1979). Qu’est-ce qui se cache derrière le mantra de la « norme » et de sa forme idéale, la « normalité » ? Est-il possible de démonter la nature obvie de cette réalité réalisée et d’en sonder les replis ?

Ce numéro des Actes Sémiotiques envisage la norme comme « chaînon manquant » entre la langue et la parole. L’essai d’Eugenio Coseriu Système, norme et parole (1952) constitue notre source d’inspiration, car le linguiste roumain a prolongé et implémenté au mieux le projet saussurien puis hjelmslevien de l’étude des signes « au sein de la vie sociale » (Saussure 1916 : 33). Déjà pour Saussure la langue était « un fait social », c’est-à-dire « institution » et « conscience collective » (Saussure 2002 : 262-263). Chez Hjelmslev, d’un côté on distingue la parole en « usage » et en « acte », et de l’autre on reconnaît que la langue permet la construction de « schémas » et se stabilise dans des « normes » (Hjelmslev 1942). Mais il revient à Coseriu d’avoir inclus le débat sur le rapport entre langue et parole dans la sphère plus large et complexe des règlements éthiques, en montrant les imbrications entre sémantique et pragmatique. D’après Coseriu (1952), la langue n’existe pas a priori. Elle est produite par des actes de discours qui contiennent en eux soit le « système » d’oppositions grammaticales propre aux domaines communs et que l’usage diachronique a fixé, soit les conditionnements et les incidences de la « norme », les accords tacites ou juridiquement stipulés, dont la vie quotidienne est remplie (Migliore 2021). Le geste de Coseriu d’identifier dans la langue deux axes, celui du « système » et celui de la « norme », permet de mieux examiner des dynamiques du sens (d’émergence, de remaniement, d’usure et déclin) qui, tout en englobant le verbal, le dépassent. Il s’agit de praxis énonciatives intelligibles sur le fond d’un plan de consistance intersubjectif et étique (Fontanille, Zilberberg 1998 ; Basso Fossali 2017 ; Paolucci 2020).

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