Hommage à Jean-Claude Coquet (1928-2023)

Hommage à Jean-Claude Coquet (1928-2023)

La nouvelle du décès de Jean Claude Coquet me frappe profondément. C’est lui qui m’avait accueillie lorsque j’avais demandé à Greimas si je pouvais m’inscrire à son séminaire en 1983. Je me souviens qu’il m’avait reçue dans le petit bureau de la rue Monsieur Le Prince. J’étais très intimidée. Nous avions parlé de mon essai, que j’avais écrit sur Sylvie de Gérard de Nerval et qui portait sur une analyse de l’énonciation. Jean-Claude m’a écoutée, ensuite nous avons entamé une discussion. J’avoue que je ne m’attendais pas à une telle interview, et à ce qu’il s’intéresse à mon travail! A ma grande surprise, il était curieux et attentionné, comme les maîtres savent l’être. Je me souviens de lui comme d’un intellectuel d’une très grande culture, très élégant, fin, toujours légèrement ironique. Sa contribution a été fondamentale pour la sémiotique, et je suis sûre que son travail demeurera comme un moment essentiel de notre discipline et que nous ne l’oublierons jamais. En 2008, Paolo Fabbri a édité un recueil de ses essais intitulé Les instances énoncantes. Phénoménologie et sémiotique. C’est un texte précieux pour le public sémiotique italien, sur lequel nous reviendrons bientôt.

Spécialiste des sciences du langage, J.C.Coquet a enseigné à l’Université d’Uppsala en Suède, puis en France, à l’Université de Poitiers, à l’EHESS de Paris et à l’Université de Paris8-Vincennes. Ses principales contributions sont consacrées à la littérature, à la sémiotique générale, à la définition du sujet du discours, à la puissance analytique de la phénoménologie et au statut des instances énonçantes. Ses livres ont été traduits en allemand, en anglais, en chinois, en espagnol, en portugais et en turc. Nous rappelons: Le discours et son sujet 1&2 (1984, 1985) ; La quête du sens. Le langage en question (1997) ; Phusis et Logos. Une phénoménologie du langage (2007).

Isabella Pezzini

Présidente de la FedRoS

 

Hommage à Jean-Claude Coquet (1928-2023) II

Un des fondateurs principaux de l’École sémiotique de Paris, éminent sémioticien français, le Professeur Jean-Claude Coquet s’éteignit le 16 janvier 2023 à l’âge de 94 ans. Durant sa vie, il a beaucoup contribué au développement de la sémiotique et il a élaboré une théorie à visée phénoménologique en s’inspirant d’abord d’Aristote qu’il considère « comme peut-être le premier phénoménologue », puis du linguiste Émile Benveniste et du philosophe Maurice Merleau-Ponty. Sa théorie appelée Théorie des instances énonçantes interroge les notions de discours, de sujet et d’objet pour renouveler leur définition tout en mettant en valeur la notion d’instance énonçante afin de relier le monde de la phusis au monde du logos. Dans son approche, l’instance corporelle trouve sa place comme l’instance de base établissant le premier contact avec la réalité, et ce que cette première instance a saisi du monde est repris par l’instance judicative qu’est l’esprit. Ces deux instances qui assurent la prise et la reprise du phénomène se placent dans l’autonomie mais deux autres instances entrent en jeu dans l’hétéronomie puisque l’instance immanente regroupe les forces qui agissent en nous et l’instance transcendante les forces qui agissent sur nous. L’instance énonçante étant un complexe de toutes ces composantes appréhende le monde et la réalité tout en essayant de mener à bien sa quête du sens. Cette perspective nous permet d’interroger le langage et le discours.

Étant une de premiers doctorants du Professeur Jean-Claude Coquet, je l’ai connu à l’EHESS de Paris où j’ai entamé mes études doctorales. J’ai préparé sous sa direction une thèse de sémiotique littéraire que j’ai soutenue en 1990. De retour à Istanbul, j’ai commencé à enseigner au Département francophone de Traduction de l’Université technique de Yıldız en même temps que je traduisais des auteurs comme Maurice Blanchot, Roland Barthes, Paul Ricœur, Honoré de Balzac et Claude Simon. Mon expérience de traduction me mettait souvent face à des difficultés que je résolvais à l’aide de la sémiotique. Ce qui m’a poussée vers des recherches interdisciplinaires où je reliais la théorie des signes à la théorie de la traduction ; cette interdisciplinarité est baptisée aujourd’hui de sémiotique de la traduction. J’ai invité mon Maitre deux fois à Istanbul pour faire des séminaires à l’Université technique de Yıldız en 2002 et 2014. Pour présenter sa théorie à un public académique plus large en Turquie, qui ne serait pas limité aux francophones, j’ai commencé à traduire en turc une série d’articles de Jean-Claude Coquet : depuis 2020, j’ai traduit et publié six articles qui présentent sa sémiotique des instances adoptée comme approche théorique dans plusieurs thèses en sémio-traductologie et en sémiotique littéraire en Turquie.

Tout ce que j’ai appris de sa vaste science m’a montré la voie dans mon parcours académique, je lui en serai toujours redevable. Je souhaite donc rendre hommage à son inoubliable souvenir.

 

Sündüz Öztürk Kasar

Professeure des Universités,

Université Galatasaray (Istanbul)


Hommage
à Jean-Claude Coquet (1928-2023) III

Denis Bertrand, ancien directeur de l’UFR « Textes et sociétés » de l’Université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis, et Martin Mégevand, responsable de la rédaction de la revue Littérature issue de leur commun département de « Littérature française, francophone et comparée » de la même université, ont évoqué l’histoire et la pensée du langage de Jean-Claude Coquet pour « AllP8 », le site de Paris 8, à l’intention de tous leurs collègues, et pour « Fedros », le site de la sémiotique romane, à l’intention de tous ses amis sémioticiens.

Agrégé de grammaire, docteur d’Etat ès Lettres et Sciences humaines, il a été appelé  en 1969 comme Maître Assistant au Centre expérimental de Vincennes pour créer le département de Français Langue Étrangère. Il a ensuite rejoint l’UFR 4, devenue plus tard UFR « Textes et Sociétés », qu’il a dirigée durant plusieurs années, et demeurera jusqu’à sa retraite membre du département de Littérature française, devenu département de Littérature française, francophone et comparée, y devenant professeur en 1983 puis professeur émérite en 1996. Il a contribué au rayonnement de l’université par sa participation aux partenariats avec des universités étrangères, notamment à Wuhan et Pékin. Sémioticien d’envergure internationale, il a élaboré une approche théorique du langage fondée sur l’acte d’énonciation, associant le sensible au cognitif, dans la lignée du De interpretatione d’Aristote, des travaux de Maurice Merleau-Ponty et d’Émile Benveniste dont il avait édité avec Irène Fenoglio les Dernières leçons au Collège de France. Tenant d’une approche sémiotique parfois appelée « subjectale », il est l’auteur de plusieurs livres qui ont marqué la discipline. Dans Sémiotique : l’école de Paris (Hachette, 1982), il rassemble sous ce vocable les différents mouvements nés à la suite des travaux d’Algirdas Julien Greimas, dont il se distingue dans Le Discours et son sujet (en deux volumes chez Klincksieck, 1984 et 1985), ouvrage où il théorise les conditions de possibilité d’une sémiotique du sujet.Cette recherche s’est prolongée dans La Quête du sens. Le Langage en question (Presses Universitaires de France, « Formes sémiotiques », 1997) et dans Phusis et Logos. Une Phénoménologie du langage, paru en 2007 aux Presses Universitaires de Vincennes (« La philosophie hors de soi »). Son dernier livre, Phénoménologie du langage, publié en 2022 chez Lambert-Lucas à Limoges, est un recueil de ses articles récents, édité par Michel Costantini et Ahmed Kharbouch, où il développe et parachève son œuvre à travers cette relation fondatrice entre phusis (l’expérience sensible du monde) et logos (sa reprise cognitive dans l’expression). L’originalité de son  travail de linguiste et de sémioticien est d’être parvenu à placer la phusisau foyer du logos dans la structure du langage elle-même. Ce travail connaît de nombreux développements concrets dans les champs littéraire, artistique et psychothérapeutique. Membre, jusqu’à la fin, du bureau de la revue Littérature fondée par le département, il y apportait sa subtilité, son acuité bienveillante, une remarquable attention aux renouvellements des formes de la critique, et une souveraine élégance.

Les obsèques seront célébrées le mardi 24 janvier 2023, à 14h30, en l’église Saint-Jean-Baptiste, à Sceaux (92330).

Denis Bertrand

Ancien directeur de l’UFR « Textes et sociétés » de l’Université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis

 

Hommage à Jean-Claude Coquet (1928-2023) IV

La mort de mon professeur de thèse, Jean-Claude Coquet, me bouleverse profondément. Je l’ai connu grâce à Monsieur Greimas. En 1980, je suis allée à Paris pour lui exprimer mon projet de thèse de post doctorat. Je venais de lire sémantique structurale et quelques autres livres, puisque à l’époque il n’y avait presque rien à lire sur la sémiotique en Turquie. Tout ce que j’avais lu était comme un puzzle à trois dimensions. Tous les termes volaient sans pouvoir s’emboiter. Ayant enseigné en Turquie, Monsieur Greimas aimait bien les turcs, et, par ailleurs, je venais sur les conseils du professeur Tahsin Yücel. Ensemble, nous avons parlé de ses collègues d’Ankara et d’Istanbul. Je voulais faire une thèse liTéraire en me servant de la sémioLque. Avec sa voix chaleureuse et profonde Monsieur Greimas a dit « Madame, vous allez travailler avec Monsieur Coquet ». J’avais déjà entendu parler de sa renommée. Je lui ai téléphoné avec quelque anxiété, mais, avec sa voix rieuse, il m’a immédiatement mise à l’aise et donné rendez-vous après son séminaire. Nous avons discuté de plusieurs livres. Je lui ai demandé d’être très rigoureux avec moi. J’ai aussi suivi ses séminaires et son cours de licence à l’université de Saint-Denis. À l’époque, il travaillait sur Le discours et son sujet. Quelle prévoyance! car finalement, ma thèse est devenue l’application d’une petite partie de son travail. Tout en préparant sa propre thèse, il a dirigé et corrigé la mienne. Il m’a généreusement donné son temps et son énergie et partagé son savoir avec moi. Il m’a appris l’autocriLque et la rigueur, mais aussi la manière de réfléchir sur un sujet, de diriger une thèse et, plus généralement, d’être une professeure. Je lui dois énormément. Depuis ce temps, quand je commence un travail je consulte les travaux de mon professeur et si l’occasion et le texte me le permettent, mon point de départ est toujours fondé sur ses recherches. Je me sens très privilégiée d’avoir connu le professeur Jean-Claude Coquet mais aussi très triste de savoir qui n’est plus ici.

Ayşe Eziler Kıran
Professeur émérite des Universités
Fédération Romane de Sémiotique
Romance Federation of Semiotics
Federazione Romanza di Semiotica
Federação Românica de Semiótica